mercredi 17 octobre 2007

Critique sur la note de F.Boccara du 8 octobre 2007

Commentaires sur la note de Frédéric Boccara du 8 octobre 2007 (Financement de la Sécurité Sociale etc).

Je partage avec F. Boccara deux idées :

- Il y a bien un débat de fond sur la question suivante, pour reprendre ses termes : « toucher ou pas aux entreprises ». Donc : ne pas se contenter de prendre sur les « ménages ». D’accord. Tout le problème étant cependant : « comment on y touche ». Et là, des divergences vont sans doute apparaître.

- La taxation des stocks options ne saurait effectivement être considérée comme une « mesure phare ». Il en faudra un peu plus pour financer convenablement la protection sociale. Pour autant, cela ne doit pas nous interdire de la demander, puisque l’opportunité politique se présente. Le mieux évidemment serait de revendiquer purement et simplement la suppression de ces fameux stocks options qui achètent la complicité active des cadres dirigeants. Mais sommes nous prêts à aller jusque là ? Bref, passons et revenons à l’objet du délit.

Ces deux points d’accord étant posés, voyons ceux qui méritent discussion.

Taxer les revenus financiers des entreprises plutôt que les revenus financiers des ménages : est ce bien là le problème ?

F.B. semble attacher une extrême importance à la différence entre, d’une part, les revenus des ménages, sur lesquels focaliseraient les « sociaux-libéraux » et, d’autre part, les revenus des entreprises. Ce sont ces derniers que le PCF souhaiterait, pour F. Boccara, « taxer » au premier chef.

Ainsi, vouloir taxer les stocks options reviendrait à pencher du coté de la première pente, puisque il s’agirait d’une mesure « portant sur les ménages » et non sur les entreprises.

Dès lors, les partisans de cette mesure courraient le risque de tomber dans le « piège Séguin-Fillon » : ce piège, qui est « tendu au mouvement », consiste à « conforter la droite et le PS ». Bigre.

L’affaire est donc grave et la ligne de démarcation radicalement tracée.

Mais qu’entend on au juste par « revenus financiers des entreprises » ? C’est un problème (entre autres) qu’un lecteur non avisé pourrait rencontrer à la lecture du papier de F.B.

S’agit-il des revenus financiers perçus par les entreprises, ou bien au contraire des revenus financiers versés par elles ?

F. Boccara chiffre à 255,2 Mds ces fameux « revenus financiers des entreprises (sociétés non financières) » ; source Insee, rapport sur les Comptes de la Nation 2006.

En première lecture, on pourrait donc croire que les entreprises reçoivent lesdits revenus (255 Mds €), de sorte qu’elles se “gavent” avec, au point même de « s’empoisonner ».

Or, d’après C. Mills : « Nous proposons également d’instituer une cotisation sur les revenus financiers des entreprises, qui ne sont actuellement soumis à aucun prélèvement social. Ces revenus s’élèvent à 80 milliards d’euros » (entretien diffusé sur le site PCF des BdR).

Donc, 255 Mds (F. Boccara) ou bien 90 Mds (C. Mills) ? La confusion règne.

Le mieux est d’aller voir dans les Comptes Nationaux 2006. Le « compte des sociétés non financières » du rapport cité fait apparaître que celles-ci reçoivent des « revenus de la propriété », pour un montant de 183 Mds € en 2006 (dont 119 Mds de dividendes en provenance de filiales ou de placements).

Mais, parallèlement, les mêmes sociétés versent ou reversent des revenus de la propriété pour un montant de 286 Mds € (dont 169 Mds de dividendes reversés aux actionnaires et 76 Mds d’intérêts payés aux banques)[1]. De sorte que les entreprises dans leur ensemble paient, au final, des revenus de la propriétés nets, pour un montant de 103 Mds €.

Donc, s’il y a des « revenus financiers des entreprises » et il y en a bien, il s’agit– afin que cela soit clair pour tous – des revenus versés et non pas de revenus perçus.

Ce sont les entreprises qui aliment les marchés financiers, non l’inverse.

J’enfonce certainement des portes ouvertes mais je pense que les néophytes apprécieront qu’on mette ainsi les points sur les « i ». On ne voit vraiment pas comment les « marchés » seraient capables de générer ex-nihilo des « revenus » qui proviendraient d’ailleurs que de l’activité économique.

Or, à qui sont - in fine - destinés ces revenus financiers ? Aux ménages, dans une large mesure.

Certes, ces revenus vont transiter par des intermédiaires (banques, compagnies d’assurance, holdings etc.) en suivant un circuit parfois complexe. Une partie va même circuler « d’une entreprise à l’autre », comme a raison de le souligner F. Boccara (de sorte qu’ils vont fonctionner apparemment comme « revenus financiers des entreprises »).

Mais on aurait tort de croire cet argent reste en circuit fermé éternellement. La « bulle spéculative » va à son tour alimenter à grands flots les « ménages », c'est-à-dire principalement les classes aisées. Les Comptes de la Nation le confirment : les « revenus de la propriété » perçus par les ménages se montent à 118 Mds € en 2006.

D’où vient cet argent ? Des entreprises, on l’a vu.

Les entreprises ont réalisé en 2006 pour 274,5 Mds € de profits bruts. C’est ce que l’on appelle « l’excédent brut d’exploitation ». En gros, cela correspond au “cash” qui reste, une fois payé les fournisseurs, les salaires (cotisations comprises) et les impôts d’exploitation.

C’est avec ces profits que les entreprises vont ensuite verser les fameux revenus financiers dont on a parlé plus haut.

En conséquence, quand on s’attaque à ces profits (des entreprises), on s’attaque du même coup aux revenus financiers des ménages. Pourquoi, alors, opposer les uns aux autres ?

Je pense que ce sont ces profits que F. Boccara a en vue quand il parle des « revenus financiers des entreprises ». Du moins je ne vois pas d’autre explication au chiffre qu’il avance (il y a une petite différence entre son chiffre et le mien, peut-être est-ce du au fait que les statistiques de l’INSEE sont réactualisées et que les chiffres bougent légèrement, mais peu importe, je veux bien prendre le sien, cela ne change rien au raisonnement).

Dans ces conditions, parler de « revenus financiers » là où il s’agit en réalité de bels et bons profits ne peut qu’induire en erreur. Cela tend à faire croire que les entreprises se « dopent » à la finance, c'est-à-dire à la spéculation etc. Alors qu’en réalité elles obtiennent leurs profits à partir de leurs activités et sur la base l’exploitation du travail.

On contribue ainsi à nourrir le mythe keynésien de la « finance » considérée comme une sorte d’excroissance du capital (tel un « cancer » qui « empoisonne » le capital pour reprendre l’expression de F.B.) là où l’on est en réalité aux prises avec l’extraction sans fins ni limites de la plus-value au sens le plus classique du terme.

Petit à petit, une dérive s’installe : celle qui consiste à ne plus montrer l’origine du profit (le travail), pour privilégier une approche qui en fait des tonnes dans la critique de la « finance », jusqu’à faire croire que les entreprises (ou les ménages) pourraient obtenir leurs « revenus » à partir de sources alternatives (la spéculation, les marchés « financiers »).

En réalité, si la finance « empoisonne » la société, c’est en tant que sphère qui collecte toujours plus la masse des profits, pour les acheminer, d’une façon ou d’une autre, dans les poches des classes dominantes.

Mais alors, si les revenus « financiers » des entreprises sont en réalité leurs profits, alors la proposition consistant à « taxer » les revenus financiers revient alors à taxer les profits.

Cela revient ni plus ni moins à refuser d’augmenter les cotisations patronales, qui font partie du salaire, pour introduire à la place une taxe sur les profits.

Le PCF choisit il donc la voie fiscale, ce qui revient à délaisser la cotisation sociale ?

F. Boccara critique la taxe sur les stocks options[2], car, selon lui « on met alors le doigt dans un engrenage de développement de la SCG ». Admettons. Mais le fait d'appliquer une CSG aux stocks options revient bien à les "taxer". Quelle différence y a-t-il donc entre la CSG et celle que l'on propose par ailleurs de mettre "sur les revenus financiers" ? Mystère.

Donc, si "engrenage" de la CSG il y a (c'est-à-dire la fiscalisation contre la cotisation), cette dérive n'est pas non plus évitée quand on propose la taxation des revenus financiers. Bien au contraire.

Il est hautement significatif que pas une seule fois le mot "salaire" n'est prononcé dans une note pourtant consacrée au financement de la protection sociale, si ce n’est pour affirmer, ce qui est encore pire, que la « modulation » des cotisations permettra d’augmenter les salaires. Cela signifie qu’une diminution du salaire indirect (la cotisation) pourra (peut-être) se traduire par une augmentation du salaire direct, sans que cela ne coûte plus cher au patronat, puisque c’est la Sécurité Sociale qui aura ainsi subventionné cette hausse apparente.

Pas une fois non plus n’est mentionnée une éventuelle augmentation des cotisations sociales. F. Boccara refuse depuis longtemps de reconnaître que celles-ci font partie du salaire, préférant les ranger dans la catégorie hétéroclite et comptable des prélèvements obligatoires, autant dire des « charges » …. Allez ensuite convaincre les salariés que le financement de la protection sociale est leur affaire. Il s’interdit dès lors de voir que la meilleure "taxe" sur la "finance" qui existe, c'est encore le salaire.

Augmentez les salaires et les taux de cotisations, et alors la finance explosera, tarie à la source.

Pour le reste :

Il est contestable d'affirmer que "la politique de l’emploi est le fond des choses, car c’est bien largement du chômage que le financement de la protection sociale est malade."

Le financement de la Sécu dépend des richesses produites (1 792 milliards d'euros de PIB) et des taux de cotisation appliqués. Un point c'est tout.

Même s'il ne restait plus qu'un seul emploi, on pourrait continuer à collecter. L'emploi est un autre problème. Vouloir résoudre simultanément les deux problèmes nous lance dans une impasse.

Mais il faudrait beaucoup plus de place et de temps pour s’expliquer là-dessus, car je sais que je heurte en affirmant cela.

Pour ne pas allonger, je renvoie à nos articles parus dans :

- « Moduler la cotisation sociale », L’Humanité, 14 octobre 2003 (tribune libre).
- « Vive la Cotisation sociale », La Pensée N°340, octobre 2004.
- « Ce n’est pas l’emploi qui crée la richesse, c’est le travail », Nouvelles Fondations, (Fondation G. Péri), n°2, 2006.

Si déjà on arrivait à discuter de cela dans les "hautes sphères" sans se faire écharper, et pourquoi pas même (on peut rêver) fraternellement, on aurait accompli un immense progrès dans la refondation, évolution, mutation, rénovation, conservation, continuation, etc (au choix, biffez les mentions inutiles, selon les sensibilités …) de ce que l’appelle encore aujourd’hui le parti communiste français.


Raphaël THALLER

[1] Ce sont d’ailleurs souvent les mêmes revenus, vus de l’autre coté.
[2] La différence faite par F.B. entre "stock" et "flux" (concernant les stocks options) n'est pas inintéressante mais se situe déjà à un niveau très "technique" du problème. Que l'on taxe le stock plutôt que le flux, il y a certainement des différences, mais est-ce le problème ? Le jour où on en sera là, on verra bien

Financement de la sécurité sociale, stock options, etc.

Financement de la sécurité sociale (assurance maladie), stock options, finance, etc.
Frédéric Boccara, le 8 octobre 2007

1. Rappels des propositions du PCF (confirmées par le dernier congrès, approfondissant celles de déc 1995)
3 moyens nouveaux et 1 conséquence :
- Taxation de tous les revenus financiers des ménages et des entreprises

- Modulation des cotisations sociales pour augmenter les prélèvements en développant l’emploi (en quantité et en qualité, donc aussi les salaires et les qualifications)
Selon l’évolution de la part des dépenses d’emploi et de formation dans la valeur ajoutée de l’entreprise : si cette part recule, alors l’entreprise se voit taxée à un taux plus élevé

- Une autre politique de l’emploi, avec une BCE réorientée

- Conséquence : Extinction progressive de la CSG


2. Commentaires
La taxation des produits financiers apporte un financement immédiat, mais comme nous voulons que les revenus financiers reculent, à terme, cet apport pourrait reculer (c’est d’ailleurs aussi pour les faire reculer qu’ils seraient taxés).
C’est pourquoi progressivement c’est la modulation qui prendrait le relais, en poussant les entreprises à un changement de logique de gestion. Parallèlement la politique de l’emploi est le fond des choses, car c’est bien largement du chômage que le financement de la protection sociale est malade.

3. Le piège Séguin-Fillon des « stocks options »
Les stocks options peuvent faire partie des revenus financiers des ménages (NB : elles sont d’abord attribuées par les entreprises, mais à ce moment aucun moyen financier n’est distribué, c’est un sorte de réservation d’un stock d’actions de l’entreprise, à un prix avantageux, dont le mode calcul peut être pré-déterminé sans que le montant monétaire soit effectivement fixé, avec des conditions sur les délais dans lesquels les bénéficiaires ont le droit de vendre leur stock (réalisation de l’option). Ils touchent des dividendes de ces placements, revenus de même nature que les autres dividendes, mais c’est surtout au moment de la vente qu’ils deviennent des revenus des ménages).

Deux pièges :
a- la CSG
Séguin, qui propose par le biais de la cour des comptes la taxation des stock options, le formule par intégration dans la CSG. Fillon vient de lui emboîter le pas. On met alors le doigt dans un engrenage de développement de la CSG. Alors faut-il taxer l’option (le flux de revenu) ou le « stock » (la « réservation » dans les comptes des entreprises)[1] ?

b- L’évitement des revenus financiers des entreprises.
Un Le débat de fond, avec les sociaux-libéraux (par exemple, Th. Piketty, économiste de Ségolène Royal), porte sur « toucher ou pas aux entreprises ». Pour les sociaux libéraux, il ne faut pas toucher aux entreprises. Cela va gêner leur compétitivité. Il faut les laisser « libres », être libéral, quitte à être social ensuite en compensant un peu, en redistribuant un peu de l’argent gagné par « les riches » au terme de ce fonctionnement anti-social, productiviste et pervers des entreprises. Dans la version de gauche, il mettent alors tout sur la taxation des ménages, y compris leurs revenus financiers. Peut-on éviter ce débat ?

Ne pas taxer ces revenus financiers pose au moins Trois problèmes : (a) les ménages les plus patronaux n’ont pas besoin de « toucher » leur argent ils le laissent comme un revenu financier des entreprises (qui circulent d’une entreprise à l’autre, alimentant la « bulle » spéculative), (b) les gestions des entreprises, les décisions d’emploi et de production, donc « la sécu » continuent à être empoisonnées par le cancer de la finance (c) les entreprises ne tiennent pas compte du financement de la protection sociale.

Ces opposants à une taxation des revenus financiers des entreprises mènent une bataille d’idées prétendant que les revenus financiers des entreprises n’existeraient pas, seuls les « ménages » compteraient en matière de revenus… !
Dénoncer l’exonération des stocks options peut être une façon de mettre en cause « la finance » et le patronat (le capital), c’est à dire une « entrée » vers une vraie alternative. La proposer comme une mesure phare, portant sur les ménages, serait tomber dans le piège qui est tendu au mouvement et conforter la droite et le PS.

Or les chiffres de l’Insee (rapport sur les comptes de la Nation, 2006) sont très clairs :
Revenus financiers des entreprises (sociétés non financières) 255,2 Mds
Revenus financiers nets des « banques » 60,7 Mds
(pour mémoire) Cotisations sociales patronales effectives payées par les sociétés et les banques 147,6 Mds

à Taxation des revenus financiers des entreprises à 12,8% (tx patro Ass. Maladie) : +40,4 Mds de produit
Ceci est, bien entendu une estimation purement comptable et statistique
[1] Mais cela peut conduire à une incohérence car les stocks de capital financier devraient être taxés dans la réforme de la taxe professionnelle. Ici on s’occupe des flux de revenu, en cohérence avec le fonctionnement d’ensemble de la « sécu ».

lundi 1 octobre 2007

L'ouverture au Centre s'est soldée par un échec

Philippe Marlière prévient le Parti socialiste : l’ouverture au centre de la gauche italienne s’est soldée par un échec.
de Philippe Marlière Maître de conférences en science politique à l’université de Londres.


Ségolène Royal l’a affirmé à plusieurs reprises :
un accord électoral ou organique avec le MoDem – une formation de centre droit – est aujourd’hui envisageable pour le Parti socialiste.
Dans l’entre-deux tours de l’élection présidentielle, Mme Royal n’avait pas exclu de nommer François Bayrou au poste de Premier ministre, en cas de victoire contre Nicolas Sarkozy.
Sévèrement battue au second tour, et en dépit du médiocre report des voix bayrouistes sur sa personne, Ségolène Royal a continué de défendre l’idée d’un rapprochement entre le PS et le MoDem. Elle a même prédit que "des choses allaient se passer" entre les deux partis à l’occasion des prochaines élections municipales !

Éprouverait-elle quelque nostalgie pour les manœuvres d’appareils de la IVe République, période pendant laquelle la SFIO a souvent géré le pays aux côtés des démocrates-chrétiens ? Ou alors, souhaiterait-elle rejouer la partition de l’ouverture rocardienne des années 1988-1991, qui se solda par la débâcle électorale de 1993 ?
Ou encore, tenterait-elle de s’inspirer de la gauche italienne ? Cette dernière hypothèse paraît plausible, car Ségolène Royal suit depuis quelque temps avec intérêt l’ouverture au centre pratiquée par les Démocrates de gauche (DS), le pendant italien du PS.

En octobre prochain, les « socialistes » de DS et la nébuleuse démocrate-chrétienne et libérale de la Marguerite se fondront en un parti unique qui s’appellera – comme son modèle étatsunien – le Parti démocrate (PD).
Ce parti ne sera ni socialiste ni de gauche. Cette alliance du centre, organique, va toutefois se dérouler dans des conditions très différentes pour la gauche de ce qui aurait pu advenir dans les années 1970.
Aux élections de 1976, le PCI (dont sont issus les DS) venait de recueillir 34,4 % des voix, alors qu’aujourd’hui les DS peinent à rassembler plus de 15 % sur leur nom.
Que s’est-il passé entre-temps ? Un recentrage idéologique, politique et, aujourd’hui, structurel des DS.
Ces derniers ont volontairement tourné le dos à la culture égalitaire et solidaire de la gauche postcommuniste depuis le début des années 1990. Cette stratégie idéologiquement motivée produit aujourd’hui des effets désastreux au sein de la gauche italienne.

Lorsque le PCI s’est transformé en Parti démocratique de la gauche (PDS) en 1991, la majorité des ex-communistes refusèrent la voie social-démocrate sociale et radicale.
Le PDS privilégia un recentrage politique autour de sujets « sociétaux », au détriment d’engagements pour la justice sociale et de la poursuite d’une relation critique avec le capitalisme.
Le cap à droite coûta au parti une première scission et la création du Parti de la refondation communiste (PRC), un parti en réalité postcommuniste, ouvert aux thématiques « post-matérialistes » (féminisme, environnement, égalité sexuelle, etc.), mais resté fidèle aux idéaux égalitaires de la gauche. Cette ligne de gauche a été récompensée par les électeurs italiens. Depuis 1991, le PRC peut compter sur un score plancher de 6 à 8 % des voix.
Lors des élections législatives de 2006, les Italiens ont élu 41 députés du PRC.
Le PDS – renommé DS – a continué obstinément dans la voie du recentrage et a perdu, à chaque élection, de nouvelles voix.
L’hémorragie électorale ne fut qu’artificiellement ralentie à partir de 1996 avec la création de l’Olivier, un cartel électoral. L’Olivier regroupe les DS (la principale force partisane), des ex-membres de la Démocratie chrétienne (DC), qui avait implosé à la suite des enquêtes de l’opération Mani Pulite (nom d’une opération judiciaire lancée en 1992 contre la corruption du monde politique italien), d’ex-Verts (Marco Rutelli, l’ancien maire de Rome), des libéraux de gauche et des Républicains. Ce regroupement hétéroclite permet à l’Olivier d’atteindre péniblement 30 % des voix.
L’ex-Parti socialiste de Bettino Craxi (PSI), lui aussi emporté par Mani Pulite, qui obtenait encore plus de 15 % des voix à la fin des années 1980, n’est pas réapparu comme force partisane crédible.
Les voix socialistes en déshérence se sont réparties à gauche, au centre et dans la droite berlusconienne.
Le discours droitier des DS a dérouté et découragé les électeurs de gauche. Le déclin culturel de la gauche a encore accentué le déclin électoral. La droitisation des DS a largement profité à Silvio Berlusconi, la plus grosse fortune du pays, qui fut élu à deux reprises président du Conseil.
Une telle dérive à l’américaine ne se serait jamais produite si la gauche socialiste s’était un tant soit peu comportée comme une force de gauche. Le battage médiatique autour du blairisme et de son (introuvable) « troisième voie » a été une aubaine pour les DS. À partir de 1997, ils purent revendiquer une « modernité de gauche », en se référant en positif au néolibéralisme autoritaire du Premier ministre britannique.

Comment expliquer un tel aveuglement dans la poursuite d’une stratégie aussi néfaste pour la gauche italienne ?
D’abord, une erreur d’appréciation historique : les ex-communistes italiens ont cru, à tort, que la chute de l’Union soviétique avait discrédité les valeurs de gauche traditionnelles.
Au début des années 1990, les néolibéraux répétaient que la modernité politique se mesurait à l’aune de la flexibilité économique et des privatisations.

Ensuite, une autre erreur sur le plan de la sociologie électorale :
les DS ont pensé que la droitisation de leur discours et de leurs politiques permettrait d’attirer des électeurs centristes tout en retenant tout ou partie de leur électorat.
Ils se sont trompés dans les deux cas. Les DS ont perdu nombre de leurs soutiens traditionnels, qui ont rejoint le PRC, d’autres formations de gauche, ou se sont réfugiés dans l’abstention. Inversement, la greffe avec les éléments chrétiens et néolibéraux de la Marguerite n’a jamais pris. Les militants, issus de deux traditions très différentes, coexistent difficilement au sein de l’Olivier. Il est à craindre qu’une cohabitation organique au sein du PD soit encore plus difficile à gérer.

Le cas italien doit être étudié de près en France tant les cultures des gauches française et italienne sont proches (laïcité, égalitarisme profond, acuité du clivage gauche-droite, méfiance instinctive vis-à-vis du capitalisme, etc.).
Si Ségolène Royal était en mesure d’imposer une alliance avec le MoDem, il faudrait parier sur la répétition en France du « scénario italien ».
Dans un tel cas de figure, un ex-PS, parti centriste allié au MoDem, ne pourrait que connaître un profond déclin électoral.

De : Philippe Marlière