mercredi 27 août 2008

Les paradis fiscaux et judiciaires

Nous pouvons avec plaisir (ou dégout !), écouter "les paradis fiscaux et judiciaires", vendredi 29 août à 22h15 sur France Culture.
L'émission dure 1h15, elle est podcastable jusqu'à l'émission suivante (lundi 1er septembre).
Elle sera ensuite disponible pendant un mois dans les archives de l'émission "surpris par la nuit", sur le site internet de France Culture. Belle radio à tous

Lorsqu’on pense à un paradis fiscal, on imagine une île enchanteresse où quelques très riches, ou quelques multinationales plus ou moins douteuses, viendraient entreposer leur argent à l’abri du fisc.
En réalité, Londres est la première place financière off shore, et les paradis fiscaux font transiter la moitié du commerce mondial : ils sont, de fait, au cœur du système.

Ils ne fonctionnent pas comme des coffres forts secrets, mais plutôt comme des canaux par où l’argent circule sans être contrôlé, avant d’être réinjecté dans les circuits officiels.
Bernard Da Costa a travaillé comme directeur financier de la région Afrique-Méditerranée du groupe Acergy, une des grandes entreprises mondiales du parapétrolier offshore.
Cette entreprise est cotée au Nasdaq : elle est de ce fait soumise à la loi américaine Sarbanes Oxley sur la transparence et la sincérité des comptes.
Mais les comptes des sociétés françaises du groupe ne donnaient pas, pour chaque exercice, une image fidèle de leurs opérations et de leur situation financière : leurs bénéfices étaient soit attribués à des filiales fantômes basées notamment dans des paradis fiscaux et au Royaume-Uni, soit renvoyés sur des sociétés domiciliées fictivement en Afrique au plan fiscal, soit enfin détournés de France et de pays africains par un jeu de refacturations de complaisance…
Bernard Da Costa a proposé à la Direction du groupe Acergy de régulariser la situation, calamiteuse au plan juridique et fiscal.
Il a été licencié, avec une offre pour acheter son silence. Il a refusé.

Aujourd’hui il parle. Il a conservé toutes les preuves de ses affirmations.
Au travers de ce cas d’école, on retrouve les différents moyens d’action qu’offrent les paradis fiscaux à des dirigeants de groupes peu scrupuleux sans que les auditeurs de ces mêmes groupes y trouvent à redire.
Le secret bancaire est la clé de voûte du système : sans lui, tout s’écroule.
Réfugiés derrière la nécessité du secret bancaire, la Suisse, le Luxembourg, et d’autres paradis fiscaux moins respectables, refusent toute coopération sérieuse avec la justice.
Jean de Maillard, juge rendu célèbre pour sa lutte contre la corruption, explique comment la lenteur des procédures internationales, la corruption des classes politiques (il cite entre autres Berlusconi, qui fait aujourd’hui voter des lois lui assurant l’impunité, et dont la fortune a été assurée par les paradis fiscaux), et enfin l’opacité et la circulation rapide des capitaux, rendent les enquêtes simplement inopérantes.
C’est pourquoi on parle de paradis fiscaux et judiciaires : leur prospérité ne repose que sur les garanties d’opacité qu’ils offrent (trust, fondation au Liechtenstein, société écran…).

En France, la fraude fiscale nous coûterait 50 milliards d’euros par an, selon le syndicat des impôts, le SNUI, soit 2 à 3 % du PIB ! L’équivalent de la dette…
Pour l’ensemble des pays du Sud, le Tax Justice Network évalue la perte annuelle à 500 milliards d’euros : dix fois le montant de l’aide qui leur est accordée.
L’universitaire américain Raymond Baker estime qu’entre 15 à 30 milliards d’euros issus de la corruption sont transférés annuellement hors des pays du Sud.

Jean Merckaert, du CCFD, explique que les financements des « seigneurs de la guerre » passent par les paradis fiscaux et judiciaires, comme les réseaux de traite des êtres humains ou le pillage des ressources naturelles (pétrole, bois, diamants…).
Enfin, ces paradis fiscaux et judiciaires permettent une circulation extrêmement rapide et incontrôlée de capitaux spéculatifs, (on parle de « hot money ») : ils décuplent les crises économiques par le retrait brutal d’énormes masses financières (cf la récente crise des subprimes).
Ces flux étant incontrôlables, John Christensen, du Tax Justice Network qui avait déjà annoncé la crise des subprimes, prévoit d’autres crises financières majeures dans la décennie à venir.

Aujourd’hui, les Etats de l’OCDE ont pris conscience de la manne qu’ils perdent avec l’évasion fiscale, et sont décidés à faire pression sur les paradis fiscaux : voir l’affaire récente entre l’Allemagne et le Liechtenstein (lorsque les services secrets allemands ont révélé une liste de clients européens bénéficiant de comptes au Liechtenstein), ou les attaques du Congrès américain contre la vénérable banque suisse UBS.
Mais, d’une part, l’usage des paradis fiscaux se démocratise : aujourd’hui les banques proposent des services « d’optimisation fiscale » aux classes moyennes supérieures aux Etats Unis, et déjà aux PME en Europe.
D’autre part, Singapour et d’autres paradis asiatiques se montrent tout à fait offensifs, et prêts à prendre la relève.
Enfin, conclut Xavier Harel, aucun des noms français de la liste achetée par les services secrets allemands n’a encore été rendu public…
Signe que le pouvoir politique, en France comme ailleurs, n’a pas la volonté (ou les mains libres ?) de faire le ménage.

Quelques chiffres (SNUI) : On dénombre environ 70 paradis fiscaux.
Parmi eux, les îles caïmans abritent 80 % des fondsd’investissement du monde gérant plus de 1 000 milliards de dollars d’actifs, les îles vierges logent la moitié des sociétés non résidentes du monde, 225 banques et 820 fonds d’investissement sont implantées dans les îles anglo-normandes (source : Plateforme paradis fiscaux et judiciaires).

Selon le Groupe d’action financière (Gafi), le blanchiment représente 2 à 5 % du PIB mondial brut.

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